Il est un presque 10h ce dimanche 30 Aout 2015 quand j’arrive à la Flégère. Cela fait environ 40h que je cours. Je suis maintenant certain que je vais y arriver, que je vais boucler ce tour du Mont Blanc de quelques 170km et 10 000 mètres de dénivelé positif. Il me reste la dernière descente vers Chamonix pour revenir là où a été donné le départ de cette course extraordinaire qu’est l’UTMB, sur la place du triangle de l’amitié. Je vais réaliser le rêve de boucler ce trail mythique. Je souffre mais il faut que je profite car c’est bientôt fini !
Quand est ce qu’exactement cette aventure a commencé ? Je ne me rappelle plus trop. Sans doute en entendant parler de cette épreuve et en voyant des images de ce défi de fou que jamais alors je n’aurais imaginé tenter. Et puis le temps a un peu passé et je me suis mis à courir, courir toujours plus. Alors me voici ce vendredi 28 aout un peu avant 18h, place du triangle de l’amitié à Chamonix pour tenter de boucler le tour du Mont-Blanc en moins de 46h.
Vendredi 28 août, 17h58
Nous sommes quelques 2500 coureurs amassés sur la place derrière l’arche de départ. Tous les visages sont crispés, concentrés sur cette course qui va durer plusieurs dizaines d’heures, même pour les premiers. Il n’y a pas un nuage dans le ciel, et il fait chaud, même un peu trop. La musique Conquest of Paradise de Vangelis se met à résonner. L’émotion est intense. Des frissons parcourent tout mon corps. Depuis des mois, je ne pense qu’à ce moment. C’est l’aboutissement d’un long entraînement et de quelques sacrifices. Une foule immense nous attend dans les rues de Chamonix, sur les premiers kilomètres de course pour nous donner des premiers encouragements. Il faut aussi se sortir de la tête que plus d’une personne sur trois autour de moi ne reverra pas cette arche à l’arrivée. Mais j’en suis déjà sûr, ça ne sera pas mon cas.
Vendredi 28 août, 19h38
Je suis dans la première montée du parcours, celle du Delevret. Je n’ai pas de très bonnes sensations. Mes jambes sont lourdes. Je n’arrive pas à rentrer dans ma course. Est-ce la chaleur ? Je ne pense pas que ce soit l’unique raison. Je suis en train de me faire dépasser par cette course et sa distance hors-norme, inconnue pour moi. Je n’ai aucun point de repère. Comment vais-je pouvoir tenir 40h ? La première nuit va à peine commencer, alors comment va se passer la seconde ? Comment faire en sorte d’oublier ce temps qui passe, ou plutôt qui pour l’instant ne passe pas ? Pour la première fois dans une course je connais une souffrance psychologique. Et elle arrive bien trop tôt !
Vendredi 28 août, 23h01
J’attaque maintenant réellement la course. Je m’éloigne des Contamines et attaque la nuit avec ses quelques belles difficultés. Mon objectif à partir de là est de rejoindre Courmayeur. Mais avant ça, il faudra franchir le col du Bonhomme, le col de Seigne et longer le lac Combal et l’arrête du Mont Favre. Un feu de camp marque le dernier groupe important de spectateurs avant de pénétrer dans le cœur du massif pour rejoindre l’Italie. L’ambiance est énorme. C’est beau, ça fait chaud au cœur et pourtant je sens que j’ai déjà abandonné quelques forces.
Aux Contamines, j’ai pu voir mes parents pour la première fois sur la course. Mon père m’a donné ma première assistance, en m’apportant à boire et à manger et mes vêtements pour la nuit. Je lui ai déjà fait comprendre que ce n’était pas la grande forme. Ils doivent commencer à douter alors que cela fait à peine 5h que cela a commencé.
Samedi 29 août, 10h16
J’arrive dans les rues de Courmayeur. Le soleil est déjà bien levé. C’est dommage, je n’ai pas réussi à en profiter autant que j’aurais souhaité. Et pourtant la vue depuis l’arrête du Mont Fabre sur le massif du Mont-Blanc est magnifique. Une des plus belles vues de la course je pense, avec celle sur les grandes Jorasses vers le refuge Bonatti. J’aperçois ma mère qui est venue à ma rencontre avant le ravitaillement. Je parcours les derniers mètres en trottinant avec elle. Je craque un peu nerveusement et des larmes coulent sur mon visage. Je ne m’attendais pas à ce que je vive aussi difficilement cette première partie de course. Il faut cependant que je reste concentré et que je profite de cette pose à Courmayeur pour me redonner de l’énergie. C’est aussi le moment de compter sur le réconfort et les encouragements de mes parents car je n’en suis même pas à la moitié de la course !
Samedi 29 août, 17h25
Cela fait un peu moins de 24h que je suis parti et je viens de franchir la plus grosse difficulté de la course : le grand col Ferret. C’était dur et je fus lent. Mais c’est fait et une descente m’attend maintenant. Depuis Courmayeur, j’ai réussi à me mettre dans ma bulle ce qui m’a permis d’avoir un bien meilleur moral. J’ai repris des forces. Alors forcément cela n’a pas duré bien longtemps, mais je me sens maintenant moins dans l’inconnu. Je sais gérer les coups de mou et continuer à avancer tranquillement même dans les périodes de grand épuisement. Et puis à ce stade de la course, il ne me reste plus qu’environ 70km. Je sais c’est un peu fou à dire mais c’est une distance qui est pour moi beaucoup plus raisonnable et que j’arrive à me visualiser. Et surtout, je suis maintenant bien plus proche de l’arrivée que du départ !
Samedi 29 août, 22h38
Je longe le lac de Champex en marchant avec mes parents. Je discute avec eux et ça fait vraiment du bien avant d’attaquer cette 2e nuit et les trois difficultés que je redoute tant : la Giète, Catogne et la Tête aux vents. Je sais l’endroit magnifique, malheureusement je ne peux en profiter à cause de la nuit qui est déjà tombée. Dans mes plans de course les plus optimistes, j’atteignais cet endroit de jour. Mais ce n’est plus le temps de regretter mon début de course. Je suis extrêmement fatigué mais j’arrive à me mettre dans ma bulle. Les 50 derniers kilomètres vont être très durs, mais je sais que je pourrai compter sur mes parents jusqu’à la fin et qu’ils vont faire une nuit blanche pour me retrouver encore deux fois sur des points d’assistance avant l’arrivée.
Dimanche 30 août, 3h56
Allez vas y courage ! C’est génial ce que tu fais, continue ! Ces encouragements font vraiment chaud au cœur. Mais que fais tu là, toi, un parfait inconnu au milieu de la nuit, au cœur de la montagne ? Quelle passion t’anime pour venir nous donner cette force qui se fait si rare à ce moment de course ? Merci, vraiment merci beaucoup ! C’est avec ces simples mots qu’un peu d’énergie revient, mais aussi que l’émotion arrive. Même s’il reste de la route à faire, je sais que je suis sûr la bonne voie pour réussir ce défi fou.
Dimanche 30 août, 6h08
J’arrive à Vallorcine un peu avant le lever du jour. C’est le dernier point d’assistance. Et surtout il ne reste plus qu’une difficulté avant Chamonix, mais pas la plus simple : la Tête aux vents. Je retrouve une dernière fois mes parents. Quels réconfort et aide ils m’apportent ! Mais cette fois-ci, le moral est bon. La nuit s’est plutôt bien passée. J’ai franchi les difficultés en emboîtant le pas à d’autres coureurs. Le rythme dans les montées se cadençait automatiquement et les discussions entre coureurs devenaient un outil pour luter contre l’endormissement. Et j’ai trouvé une énergie improbable dans les descentes pour courir ou avancer d’un très bon pas.
Je peux compter sur mes parents pour m’aider à m’alimenter et à m’hydrater. Je suis comme un zombi. Mais je sais que j’irai jusqu’au bout. Quand on est à Vallorcine, on peut finir en rampant, mais on finit. Le jour commence à se lever et je vais repartir avec cette fois-ci en ligne de mire l’arrivée !
Dimanche 30, août 10h39
Je passe par le chalet de la Floria. On croise de plus en plus de gens au fur et à mesure qu’on se rapproche de Chamonix. Ce sont des promeneurs, des randonneurs ou des proches de coureur. Et chacun nous félicite avec un mot personnel. Je me rends compte que ce que je suis en train de faire reste un peu extraordinaire et n’est pas accessible à tout le monde. L’émotion est immense. Et je profite, je suis heureux, je vais vivre cette arrivée à Chamonix dans quelques minutes.
Dimanche 30 août, 10h58
Ça y est c’est la fin, il me reste à peine 100m à parcourir avant de franchir la ligne d’arrivée qui fût aussi la ligne de départ il y a deux jours. Je suis en train de boucler ce tour du Mont-Blanc ! Mon père m’a rejoint à l’entrée de Chamonix pour courir avec moi. Oui, je dis bien courir car je file dans les rues de Chamonix. Je ne sais pas comment j’ai réussi à garder ces forces mais je suis si heureux et ému. L’ambiance dans la ville est incroyable. Je suis acclamé et félicité par des centaines de personne. Les rues sont noires de monde. Je peux en profiter pleinement car il n’y a aucun autre coureur directement devant moi ou derrière moi.
Et là j’aperçois ma mère, je la prends dans mes bras et elle se met à courir avec moi. J’aperçois l’arche d’arrivée que je vais franchir avec mes parents. Il faut que je profite de ce moment là qui restera à jamais gravé dans ma mémoire !
L’UTMB est devenu un événement extrêmement médiatique. Son parcours n’est sans doute pas le plus beau et le plus technique des ultra-trails. Mais ça restera une course magique et inoubliable. L’idée lancée il y a presque 15 ans de partir de Chamonix pour faire le tour du Mont-Blanc et revenir au point de départ le temps d’une course restera mythique. J’ai beaucoup souffert, mais j’ai aussi connu l’espoir, le dépassement de soi, l’entre-aide et la solidarité. Et finalement des émotions intenses. Toutes ces sensations, je les garderai en moi, pour l’éternité !
9 Commentaires
Je viens de te lire et une émotion immense m’envahit jusqu’aux larmes… Merci de nous avoir permis de vivre ce moment avec toi… Pour nous aussi il sera gravé pour l’éternité
Bravo ! pour ce récit plein d’émotion mais surtout pour cette expérience hors norme. Ta dernière photo me fait bien sourire : est-ce bien une bière que tu tiens à la main ?
Merci ! Oui c’est bien une bière, j’en avais tellement envie juste après la ligne d’arrivée franchie :). J’essayerai de continuer à écrire et raconter mes expériences de course ou rando sur ce blog.
Super, Olivier !
Un régal de lire ton blog !
Bonne année à toi, avec de nouvelles aventures
Merci beaucoup, bonne année à toi aussi ! Et oui il y aura d’autres aventures et d’autres récits en 2018 !
Merci pour ce récit Olivier, nous nous étions croisés avant le départ de la course et j’ai été impressionné par ta performance sachant que ton entraînement au dénivelé s’est déroulé aux Buttes Chaumont… Merci de partager ton expérience et de me permettre de revivre ces moments intenses. Bonnes courses 2018
Merci pour ce message Jean ! L’UTMB reste une expérience incroyable et j’espère qu’un jour j’aurai la chance de l’avoir fait plus d’une fois comme toi. 2018 devrait m’apporter quelques belles courses. J’espère que ça sera pareil pour toi !
Merci pour ce récit d’une course extraordinaire.
J’ai commencé le trail depuis peu.
Quelle était ton entraînement ?
Le trail est vraiment un beau sport. Je te souhaite d’y prendre beaucoup de plaisir.
Je viens justement de publier un article sur mon entrainement pour l’UTMB et des conseils de préparation. En effet, c’est aujourd’hui qu’a eu lieu le tirage au sort de l’UTMB pour 2018, et tous ceux qui vont pouvoir prendre le départ vont commencer à réfléchir à leur préparation.
L’article est ici.